Un chat mâle multiplie les consultations vétérinaires après une soudaine baisse de forme. Malgré des signes peu clairs et des examens variés, le diagnostic de lymphome malin met fin à un parcours médical complexe, illustrant les défis des diagnostics vétérinaires.
Un chat mâle castré âgé de 11 ans, "non médicalisé", est présenté à un premier vétérinaire pour baisse subite de forme et changement d’habitus ressenti par le maître. Face à des signes frustes et des examens biologiques normaux, un traitement anthelminthique est seul prescrit.
Quelques jours plus tard, une ataxie et des tremblements, associés à une hyperthermie, se déclarent. L’animal est conduit en urgence chez un autre vétérinaire. Sans diagnostic précis, un traitement anti-infectieux est proposé, ainsi que le recours aux services d’un centre hospitalier vétérinaire (CHV) en l’absence d’amélioration.
Sans attendre davantage, le propriétaire consulte le CHV. Un troisième vétérinaire examine ainsi ce chat. Il réalise un examen clinique à visée neurologique. L’ataxie est confirmée.
Des examens biologiques sont prescrits et pratiqués, ainsi qu’un scanner cérébral, un examen du liquide céphalorachidien, une recherche de péritonite infectieuse féline et aussi de toxoplasmose. Les ganglions lymphatiques sont au demeurant parfaitement normaux à l’examen clinique à ce stade. L’hypothèse d’un accident vasculaire cérébral est privilégiée, d’autant que l’évolution générale est progressivement favorable dans les semaines suivantes.
Trois mois plus tard, le CHV est à nouveau directement consulté pour des petites masses sur un flanc et à la base de la queue avec formation de croûtes. Un traitement dermatologique externe est mis en place. A l’occasion de l’examen clinique, un souffle cardiaque est détecté et exploré (échocardiographie). Finalement aucune anomalie cardiaque morphologique ni fonctionnelle n’est détectée et, par ailleurs, les lésions cutanées disparaissent complètement.
Trois semaines plus tard, nouvelle consultation pour boiterie du postérieur gauche, avec gonflement douloureux du grasset.
Les examens radiographiques ne mettent pas en évidence de lésion osseuse. Seuls les tissus mous articulaires et périarticulaires sont concernés. Une origine traumatique est, dans un premier temps, suspectée.
Trois semaines plus tard, la boiterie persiste ; l’état général reste bon. Une nouvelle consultation vétérinaire a lieu. Un constat : le nœud poplité gauche a grossi. Les autres ganglions palpables sont normaux. L’examen neurologique est normal. L’examen orthopédique montre une effusion articulaire du genou gauche. Un vétérinaire spécialisé en chirurgie est consulté. L’hypothèse d’une tumeur ou d’un cancer est envisagée. Un scanner du thorax, de l’abdomen, du pelvis et des membres postérieurs est prescrit, ainsi que des examens biologiques complémentaires ; la ponction des deux genoux permet l’examen du liquide synovial.
L’examen d’imagerie révèle deux jours plus tard une distension sévère des articulations des grassets, surtout à gauche, sans atteinte des surfaces articulaires, compatible avec une polyarthrite, ainsi qu’une adénomégalie poplitée gauche et iliaque médiale du même côté, compatible avec une adénite réactionnelle. Les examens biochimiques sont normaux. L’examen hématologique révèle pour la première fois des anomalies : légère anémie, neutropénie sévère, éosinopénie, lymphocytose, monocytose. Les modifications hématologiques sont compatibles tant avec un processus inflammatoire majeur qu’avec une hémopathie. Les résultats cytologiques et bactériologiques de l’arthrocentèse étaient plutôt en faveur du processus inflammatoire.
Une amélioration (passagère) décrite par le propriétaire semble corrélée à la mise en place d’un traitement antibiotique, en l’absence d’examens complémentaires proposés mais différés pour raisons financières.
Un autre établissement vétérinaire de proximité est à cette période consulté, le chat y est vu journellement, les médicaments étant administrés sous forme d’injections. Des contrôles biologiques, notamment hématologiques, sont mis en place. Le bilan hématologique est devenu instable.
En l’absence d’évolution favorable, un nouvel établissement de soins vétérinaires est alors consulté, trois semaines environ après le scanner évoqué plus haut. A cette date, il y a une adénomégalie poplitée bilatérale et l’existence de petites masses sous-cutanées diffuses. Les examens cytologiques et histologiques ganglionnaires, mentalement envisagés trois semaines plus tôt par le précédent praticien, sont alors effectués et amènent au diagnostic de lymphome malin.
Le pronostic sombre annoncé conduit à l’euthanasie du chat.
Ce chat a connu en six mois cinq établissements de soins vétérinaires successifs et une dizaine de praticiens différents !
L’événement considéré, à savoir le diagnostic de lymphome malin, après six mois d’itinérance vétérinaire, est manifestement un diagnostic de gravité.
La responsabilité civile professionnelle (RCP) du vétérinaire spécialisé en chirurgie, intervenu tout à fait ponctuellement dans le processus de diagnostic, a été étonnamment recherchée. Elle n’a pas pour autant été reconnue. En tout cas, ce cas a généré une crise relationnelle entre le propriétaire de l’animal et au moins un praticien.
En effet, la gestion du diagnostic, en particulier là où elle a été critiquée, ne laisse aucunement apparaître l’existence d’un EIG lié aux soins. Le diagnostic final était simplement inattendu par le maître. Il a été établi à l’issue d’un processus progressif de diagnostic sur quelques mois, pas forcément compris du maître et, de façon plus générale, du public profane, aujourd’hui culturellement nourri médiatiquement d’immédiateté et de vérités sous formes d’allégations catégoriques, sans nuance aucune.
Ici, le maître ne pouvait pas comprendre qu’un diagnostic d’hémopathie maligne puisse être compatible avec une hypothèse diagnostique de polyarthrite encore privilégiée trois semaines plus tôt, même si elle était assortie de doutes qu’il n'a pas entendus. Ainsi donc, un événement grave pour l’animal et son maître est évidemment loin de signer un EIG ! Les perceptions du maître de l’animal peuvent être différentes de celles des soignants et surtout de la réalité des faits. C’est ce que nous avons voulu illustrer ici.
L’analyse des causes ne porte pas ici sur celle d’un EIG à proprement parler mais sur celle d’une situation indésirable tant pour le maître de l’animal que pour le praticien mis injustement en cause. L’objectif reste la prévention de ce type de situation.
La difficulté ici rencontrée tient d’abord et avant tout à l’affection elle-même, dont le diagnostic peut être déroutant sinon difficile, en fonction de la phase évolutive. Il est d’autant plus facile qu’on intervient en phase terminale ou à proximité de celle-ci. Le praticien qui intervient à ce stade prend a priori moins de risque relationnel que celui qui intervient plus en amont !
La prévention de l’affection (hémopathie maligne) n’est pas ici le sujet.
En termes de gestion du risque de mise en cause et de crise relationnelle, la prévention ne comporte rien d’autre que la transparence, la démarche d’explication permanente, dans le cadre d’une médecine partenariale ; ici en particulier sur la méthode de diagnostic.
Ce cas illustre que, même quand on a le sentiment d’avoir bien expliqué et discuté - cela étant confirmé a posteriori par un examen objectif effectué dans le cadre d’une tierce expertise - on n’est pas forcément à l’abri de reproches. Il faut y être psychologiquement préparé.
Pour aller plus loin
"Les lymphomes chez le chat" - Mon animal et son cancer >
"Les lymphomes chez le chat" - Dr Sandra Jolly >